Le discours affirmant que l’ESG est mort s’est largement répandu dans les médias, mais un examen attentif des données raconte une toute autre histoire pour l’Europe.
Certains responsables politiques et investisseurs, notamment aux États-Unis, décrivent l’ESG (critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) comme un simple mot-clé politique. Parallèlement, les régulateurs européens ont assoupli les obligations de reporting en matière de durabilité avec le fameux paquet Omnibus, afin d’alléger la charge pesant sur les entreprises.
Cette combinaison de critiques médiatiques et de projets de réforme réglementaire a alimenté la perception selon laquelle l’ESG serait en perte de vitesse. En pratique, pourtant, les moteurs fondamentaux de la finance durable restent solides. Même si les termes et les règles évoluent, les objectifs de durabilité sont loin d’être abandonnés. La plupart des grands investisseurs et des autorités de régulation considèrent toujours la durabilité comme un levier essentiel de succès à long terme, et non comme un effet de mode.
Les engagements ESG des investisseurs restent forts
Loin du discours de désillusion et contrairement aux inquiétudes légitimes concernant l’ampleur et la rapidité de la déréglementation européenne, souvent critiquée pour son risque d’affaiblissement du Pacte vert européen et de la législation associée, les investisseurs institutionnels maintiennent en grande partie leurs engagements ESG. Cependant, les données récentes révèlent des différences notables selon les zones géographiques.
Ainsi, les États-Unis affichent pour le dixième trimestre consécutif un retrait des fonds ESG, équivalant à 6,1 milliards de dollars. Cette tendance reflète un rejet persistant des initiatives ESG, fortement influencé par les évolutions politiques récentes, notamment sous la présidence de Donald Trump et les mesures de son administration qui ont relégué au second plan les priorités climatiques et sociales, tout en ciblant les efforts de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI).
Dans le contexte des répercussions de ces changements politiques aux États-Unis et d’une incertitude mondiale plus large, l’Europe, historiquement leader en matière de finance durable, a enregistré au premier trimestre 2025 ses premiers flux nets négatifs sur les fonds environnementaux, sociaux et de gouvernance depuis 2018, avec 1,2 milliard de dollars retirés. Pour autant, l’engagement en faveur des principes ESG demeure fort sur le vieux continent.
Par ailleurs, l’encours mondial des fonds ESG est resté élevé, atteignant 3 160 milliards de dollars fin mars 2025. Dans ce contexte, une enquête récente de BNP Paribas menée auprès de 420 investisseurs institutionnels, sociétés de gestion et fonds de capital-investissement répartis dans 29 pays a révélé que près de 9 investisseurs sur 10 affirment ne pas réduire leurs objectifs d’investissement durable.
Seuls 3 % des répondants admettent avoir diminué leurs ambitions ESG. Au contraire, 87 % déclarent que leurs objectifs sont inchangés. De même, près de la moitié des investisseurs estiment que les bouleversements récents n’ont pas altéré leur engagement, même si beaucoup reconnaissent qu’ils communiqueront désormais de façon plus prudente sur le sujet.
Les données de BNP montrent également que 85 % des investisseurs intègrent désormais la durabilité dans leurs décisions d’investissement, dépassant l’approche historique de simple filtrage ESG, et plus de 80 % s’attendent à ce que le rythme des avancées quant aux critères ESG se maintienne ou s’accélère d’ici 2030.
Toutefois, les investisseurs se heurtent encore à des difficultés opérationnelles. Environ 58 % citent les lacunes ou la qualité insuffisante des données ESG comme principal obstacle à l’investissement durable. Près de la moitié prévoient d’augmenter les budgets consacrés à l’acquisition et à l’analyse de données, et près de 4 sur 10 envisagent d’investir davantage dans le reporting et la mesure d’impact, l’intelligence artificielle étant perçue comme un levier stratégique de gestion et de diffusion des informations sur la durabilité.
Évolutions réglementaires : Paquets Omnibus, « stop-the-clock » et perspectives
Le cadre réglementaire européen traverse effectivement une période de profonde transformation.
Le 26 février 2025, la Commission européenne a adopté le paquet Omnibus I, un ensemble de mesures de simplification étendues couvrant plusieurs domaines législatifs, notamment les règles de la finance durable, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et les cadres d’investissement.
Élément clé de cette initiative, la directive européenne dite « stop-the-clock », a reçu l’approbation finale du Conseil européen le 14 avril 2025. Cette directive reporte les obligations de reporting et de devoir de vigilance prévues par la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), le règlement Taxonomie de l’UE et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD).

Alors que la directive « stop-the-clock » est désormais en vigueur, le paquet Omnibus de simplification plus vaste reste en négociation, le Parlement européen devant se prononcer sur ces propositions en octobre 2025.
Parallèlement, le 4 juillet 2025, la Commission européenne a adopté un acte délégué visant spécifiquement à simplifier l’application de la Taxonomie européenne. L’objectif de ces changements est de réduire les charges administratives pour les entreprises tout en préservant les grands principes du dispositif. Cette modification, qui s’inscrit dans le cadre du premier paquet Omnibus déjà mentionné, actualise les actes délégués relatifs à la publication d’informations sur la taxonomie, au climat et à l’environnement. Les nouveaux règlements entreront en vigueur le 1er janvier 2026, après une période de contrôle de quatre mois par le Parlement européen et le Conseil.
Ce que nous pouvons dire à ce stade, c’est que la Commission européenne, avec le paquet Omnibus, propose des évolutions majeures des règles de durabilité. Par exemple, pour la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), le seuil minimal d’effectifs passerait de 250 à 1 000 salariés, et le seuil de chiffre d’affaires serait relevé à 450 millions d’euros. Cette mesure exclurait à elle seule environ 80 % des entreprises de l’obligation de reporting. Le Conseil de l’UE a validé un seuil encore plus élevé pour la CSDDD, qui ne s’appliquerait qu’aux entreprises de plus de 5 000 salariés ou générant plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Ces mesures visent à réduire la charge réglementaire, à renforcer la compétitivité et à attirer les investissements. Pourtant, certains observateurs mettent en garde contre les coûts potentiels à long terme, estimant que présenter la conformité ESG comme une contrainte est trompeur, puisque le reporting sur la durabilité contribue en réalité à la compétitivité et à la création de valeur.
« L’idée selon laquelle le reporting et le devoir de vigilance constituent un fardeau coûteux qui nuit à la compétitivité est erroné et contre-productif. C’est cette perception inexacte qui est à l’origine du problème, bien plus que le souhait de simplification en lui-même », a déclaré Andreas Rasche, professeur en responsabilité sociétale et doyen associé à la Copenhagen Business School.
L’ESG est une opportunité pour la compétitivité
L’évolution la plus importante est probablement d’ordre conceptuel. L’ESG est de plus en plus perçu par les entreprises visionnaires, les institutions financières et les investisseurs, non pas comme un centre de coûts, mais comme un levier de résilience et d’avantage concurrentiel. En effet, intégrer la durabilité contribue généralement à réduire les risques réglementaires, les risques liés à la chaîne d’approvisionnement et les risques réputationnels, tout en ouvrant la voie à de nouvelles opportunités de marché. Environ 79 % des investisseurs considèrent aujourd’hui que la manière dont une entreprise gère les risques et les opportunités en matière environnementale, sociale et de gouvernance est essentielle dans leurs décisions d’investissement.
À l’échelle régionale, l’Europe continue de mener sa transition vers la finance durable : 83 % des actifs ESG mondiaux sont gérés par des investisseurs européens, ce qui reflète un soutien politique plus fort et une appétence plus marquée que sur le marché nord-américain. De même, environ 88 % des grandes entreprises publiques mondiales ont mis en place une initiative ESG.
S’appuyer sur l’IA : la clé pour l’ESG
Il est désormais largement reconnu que des données ESG de qualité constituent à la fois le principal frein et le principal levier du progrès. La plupart des organisations reconnaissent que la mauvaise qualité ou l’indisponibilité des données représente un obstacle majeur. Heureusement, il existe des logiciels et des outils de reporting de durabilité qui utilisent l’intelligence artificielle et l’analyse avancée pour proposer des solutions performantes.
L’intelligence artificielle est un instrument essentiel pour relever les défis liés aux données. Historiquement, les banques ont eu des difficultés avec les données ESG, car les informations manquent de standardisation, de structure et de traçabilité. Mais l’IA accélère considérablement le processus de nettoyage et d’intégration des données.
L’IA pour l’agrégation et le nettoyage des données
Le machine learning (apprentissage automatique) est capable d’analyser et d’intégrer les informations ESG issues de sources variées (rapports PDF, publications réglementaires, flux d’actualités, textes législatifs) et de les normaliser dans des ensembles de données structurés. Cela permet de résoudre le problème de la fragmentation : pour éviter aux analystes de passer manuellement en revue des dizaines de documents, l’IA collecte et étiquette à grande échelle des données clés, comme les émissions de CO2, la consommation d’énergie ou les indicateurs de la chaîne d’approvisionnement. Par exemple, des outils avancés de traitement du langage naturel (NLP) sont capables de parcourir les sections techniques des rapports annuels pour extraire les chiffres relatifs aux émissions de carbone ou les objectifs de durabilité.

Analyse et reporting automatisés
Une fois les données collectées, l’IA excelle dans leur analyse et leur restitution. Les systèmes pilotés par l’intelligence artificielle peuvent croiser les données internes avec les réglementations en constante évolution (comme la CSRD et la Taxonomie européenne) et même générer automatiquement des projets de rapports. En pratique, les entreprises et institutions financières qui utilisent l’IA pour le reporting ESG constatent des traitements jusqu’à 40 % plus rapides et une précision supérieure de 30 %. De plus, des agents IA peuvent surveiller en continu les nouvelles informations, qu’il s’agisse de modifications réglementaires ou d’actualités en temps réel, et signaler les écarts de conformité avant qu’ils ne deviennent problématiques.
Analyses stratégiques et modélisation des risques
Au-delà de leur traitement, l’IA peut faire des données relatives au développement durable de véritables leviers décisionnels. Par exemple, certains modèles intègrent les critères ESG dans les algorithmes d’évaluation du risque de crédit. De même, des analyses alimentées par l’IA peuvent révéler des corrélations entre les performances en matière de durabilité et les indicateurs financiers. L’objectif ultime est de faire de l’ESG un élément central de la stratégie des entreprises.
L’engagement du secteur en faveur de la technologie
Les enquêtes montrent qu’environ 50 % des organisations s’appuient encore largement sur des tableurs pour collecter les données ESG. Cependant, 90 % d’entre elles prévoient d’augmenter leurs investissements ESG dans les prochaines années, notamment en recrutant des spécialistes et en acquérant des logiciels d’IA avancés.
En d’autres termes, les banques reconnaissent qu’il est indispensable d’adopter des solutions digitales et basées sur l’intelligence artificielle pour prospérer dans un paysage de la durabilité en pleine mutation. Elles savent désormais que l’utilisation d’outils intégrant le traitement automatique du langage, l’extraction de données et la cartographie de la conformité devient incontournable.
Conclusion : l’ESG se transforme, il ne disparaît pas
Les faits sont clairs : l’ESG n’est pas mort, il évolue. Même si des titres sensationnalistes laissent entendre le contraire, la réalité est que l’engagement des investisseurs demeure solide et que la publication volontaire d’informations progresse. Les institutions financières et les entreprises intègrent de plus en plus la durabilité au cœur de leurs stratégies de création de valeur.
Certes, le paquet Omnibus va restreindre certaines obligations de reporting, mais il s’agit d’un ajustement, non d’un renoncement à l’agenda de la durabilité.
Loin de disparaître, les principes qui sous-tendent l’ESG continuent d’évoluer pour encourager de meilleures pratiques dans les entreprises en Europe et au-delà. Pour les sociétés et les institutions financières, il est temps de faire passer la durabilité d’un simple exercice de conformité à un véritable levier compétitif fondé sur les données, en s’appuyant également sur les nouvelles capacités offertes par les solutions avancées de reporting ESG pilotées par l’intelligence artificielle.